Une autre vision des lumières

Intro

Cet essai ne va pas vous donner de cours sur les Lumières  (18ième siècle), mouvement intellectuel que l’on associe au rationalisme, usage de la raison, en opposition au dogme religieux. Je vous propose une nouvelle lecture.

Si je devais abuser de la terminologie, la royauté fondée sur la volonté d’un dieu incertain est opposée au « progressisme » d’une pensée fondée sur la raison.

Les piliers intellectuels, Diderot, D’Alembert, Buffon, Rousseau et le vieux Voltaire entre autres, sont censés, dans l’imaginaire Français, représenter le progrès, avec une encyclopédie dont chacune des 60 000 entrées est une luciole éclairant non pas la nuit ou l’obscurité, mais bien l’ « obscurantisme ».

Le lire comme l’avènement de l’intelligence dans un monde supposé crétin est une erreur.

En passant, la France croit en Dieu à cette époque, et les encyclopédistes sont inconnus de 99% des français, qui eux, ne sont pas prêts de couper à l’encadrement religieux de la société, en attendant de savoir lire et écrire.

En dehors de Rousseau, citoyen Genevois authentiquement humaniste, ses collègues sont tous de purs produits des classes dominantes, ou en devenir. Tous des gens de Biens, qui ont du bien.

Leur opposition apparente au système dominant cache la spécificité de cette opposition : cette illusion permet dans nos livres d’histoire de conter une révolution citoyenne, issue de ce mouvement de refus du système dominant de l’époque.

Dans leurs esprits, le but n’est pas d’ouvrir les yeux à un peuple aveuglé par les clercs afin de le mener sur les pentes heureuses d’une prospérité pour tous.

Pas du tout.

Aujourd’hui, ce genre de mouvement serait à mes yeux illustré par le mouvement des « pigeons », les créateurs de start-up qui se plaignent si on menace leur jackpot.

Un bel exemple de « Story Telling »

Si vous vous donnez la peine de voir l’exposé de Guillemin sur Jean-Jacques Rousseau, vous comprendrez que l’histoire officielle manque terriblement de vérité.

Rousseau a été le seul à prendre ses distances, voyant la supercherie : les Lumières sont les travaux de théoriciens qui posent les fondations pour un autre pouvoir à venir, celui des banquiers, des industriels et des marchands. L’approche par la raison permet d’obtenir des soutiens de scientifiques divers, trop contents de pouvoir travailler sur autre chose que la virginité de Marie.

Les nouveaux puissants, souffrant d’obéir à un roi qui limite leur expansion, envoyèrent les gueux faire du bruit en 1789, mais la convention/constituante se remplit aussitôt soit de « barons » de l’ancien régime, soit des dirigeants du CAC40 de l’époque. Il n’est à aucun moment question de démocratie, avec un quelconque pouvoir au peuple.

1789 aura un sursaut en 1793, avec des hommes comme Robespierre, qui eux imposent avec des succès mitigés, de réelles avancées sociales. 0,1% de hausse du pouvoir d’achat, dirait-on aujourd’hui. Heureusement pour les chefs, les vrais, dès 1805, Napo prend le pouvoir et institue une franche dictature autocrate.

On nous parle moins de l’Abbé Sieyès : soit disant révolutionnaire, que des encyclopédistes, censés évoquer une fronde intellectuelle inouïe, une contestation radicale. Alors qu’il a bien des choses à dire, cet activiste écouté et respecté :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » (Discours du 7 septembre 1789)

Merci à l’auteur de la constitution issue de 1789 de nous livrer son cœur. Rien n’a changé à ce jour de 2013. Pas un mot, pas un signe.

L’encyclopédie est à la révolution, ce que Keynes est au néolibéralisme : Plutôt gentil au premier abord, mais veillant à laisser chacun à sa place. On discutaille les méthodes, on lâche un susucre et des grands mots, mais l’ossature reste la même.

On y apprend à compter, et non plus à croire, ce qui est le crédo des futurs fans de Benjamin Constant. Normalement, dans tous les bureaux des puissants, il y a un petit autel pour Benjamin Constant et Milton Friedman.

L’école de Chicago est le nom donné à la pensée économique néolibérale, pensé par des crânes d’œufs à Chicago depuis les années 1960.

C’est trop facile de vous mener en bateau

Benjamin Constant est le metteur en scène de la libre entreprise en France, il consacre le pouvoir de l’argent, substitué au pouvoir divin du Roi. Il veille aux intérêts des riches pendant toute la première révolution, contribue à virer les gauchistes comme Robespierre, et à garder les gueux à leur place. Le Cercle des Économistes [Ultra libéraux] à lui tout seul. De grandes théories pour enfumer, mais la citation ci-dessus lui va comme un gant.

Déjà Lafayette faisait rêver. Il a ramené des Amériques le nom de ‘convention’ pour la constituante, alors que pour les américains, cela ressemble plus à ‘colloque’ ou ‘séminaire’ mais cette approximation passe à l’as. Lafayette ramène aussi les pratiques des autonomistes américains, qui, en pensant leur nouvel état, ont bien sûr soigneusement prévu une domination à l’européenne, mais en affublant la loi des plus forts d’un humanisme de façade, seulement destiné à faire joli. Car quoique la constitution américaine mérite le respect, quand on voit la nôtre, les américains en devenir ont parfaitement compris que le bizness est le futur, et que le pouvoir doit être réservé à ses élites.

La libre pensée, la pensée sans le dogme (catho en l’occurrence, protestant à Genève) semble bien fonder une libération des cerveaux. Pas tous les cerveaux quand même ; la libération des cerveaux des gens de biens, des possédants, afin qu’ils cessent de cotiser au parti du roi, pour venir cotiser au parti du CAC40 de l’époque.

Quittez le roi, pour rejoindre Liliane de Bettencourt, Bernard Arnaud, Tapie qui vont prendre les choses en mains. C’est « in », c’est « branché », grâce à DJ Diderot, et en plus ça libère l’intellectuel de l’église. Ce qui plaît plutôt à l’intellectuel. Et personne n’a dit que les gueux étaient concernés, sans blagues !

L’encyclopédie possède des vertus qui s’expriment quand on la lit directement, ce qui devient aussi passionnant que le catalogue de la redoute, sachant que, techniquement parlant, c’est quand même dépassé.

Mais cela peut, de ci et de là, être une lecture personnelle enrichissante, devenir un axe fédérateur, comme dirait Séguéla, pour favoriser une redistribution des cartes, distribution à opérer entre 0,5% des gens qui la détiennent dans l’ancien régime et les 1% de nouveaux riches devenus plus riches que les fameux 0,5%. L’Encyclopédie parle au Roi, à ses fans et au Clergé, leur annonce la fin prochaine de leur règne.

En faisant croire aux 26 millions de crève la faim de l’époque que c’est pour leur bien. Si l’on excepte l’écart provoqué par la deuxième révolution de 1793, légèrement plus populaire, la trajectoire de la révolution de 1789 qui se redressera en 1805 avec Napo qui met fin à la république, est bien une révolution de possédants qui éjectent le Roi et ses sbires des postes de commandement.

En fait, c’est Jack, William et Averell qui pètent la gueule à Joe pour lui piquer la télécommande de la WII.

Et ça marche toujours !

Je sais bien que je vais me faire très mal voir, mais je vais tenter de faire un rapprochement avec le coup d’état de Videla au Chili ou Pinochet en Argentine : non pas sur les origines des coups, ni la violence, mais sur la trajectoire politique : un pouvoir conservateur représentant les dominants bouscule un autre pouvoir qui néglige les intérêts des fortunes privées, pour imposer ses valeurs, ses priorités et surtout son autorité.

Sauf que Videla et Pinochet l’on fait à la chrétienne, au nom des valeurs de la propriété, de la famille et de l’argent. Voltaire aurait applaudi Videla et Pinochet. Pis quelques mitrailleuses, ça n’a jamais fait de mal, il n’y a que quelques gauchistes pour le regretter.

Tête d’icône

Voltaire n’a-t-il pas écrit : « Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne » ?

Voltaire a exactement le profil d’un monteur de StartUp, qui passerait à la spéculation sur les matières premières. Il est d’ailleurs un précurseur de la fraude fiscale et de l’escroquerie, ce brave homme ayant eu le bon goût d’avoir sa maison à cheval sur la France et la Suisse, avec une sortie de chaque côté.

Avec l’équivalent de 200 M€ à l’ouverture de son testament, Voltaire a toujours été un grand fournisseur de l’état et s’est goinfré de « Délégations », la priorité des gros fournisseurs de l’état sur les rentrées financières de la nation. On paye d’abord les Rafales et les missiles, et, ensuite, s’il reste du blé, on verra pour les crèches.

Comme Bouygues, Lagardère, Dassault et autre. Ça vous choque que je mette en parallèle Voltaire et Dassault ? C’est sûr que sur le plan littéraire, il y a un fossé. Mais si on parlait plutôt des choses sérieuses ? De pognon en fait, d’escroquerie à grande échelle, de corruption, de prévarication…Alors les positions sociales et les trajectoires personnelles se superposent parfaitement.

Qu’avons-nous dans la suite des Lumières ? Un pouvoir royal bousculé par les nouveaux riches qui se servent, devinez de quoi, pour donner fière allure à leurs revendications ? De la Raison, des Lumières, comme Séguéla sortant une fille à poil pour nous vendre une ouature.

A une époque où 50 000 personnes (n’appartenant pas au clergé) peuvent le lire, ce qui ne veut pas dire qu’ils le font, sur 26 millions de français, on décrit dans l’imaginaire fabriqué de notre pays, cette œuvre comme fondatrice d’un mouvement de pensée universel, alors qu’elle n’était à l’époque qu’un loisir mondain pour fin de race au sang plus ou moins bleu, ou pour homme d’affaire en recherche de projet à sponsoriser.

Ce qui n’enlève rien aux mérites des hommes de sciences qui se sont mouillés personnellement. Les tâcherons. Voltaire a poursuivi de sa haine Rousseau pendant des années. Il ne supportait pas ses réserves et ses regrets  à propos de l’humanisme de ses petits camarades se limitant à des élucubrations bien pensantes qu’il n’est bien sûr pas question de pratiquer dans la vie de tous les jours. Ce ramassis de châtelains et notables veut la libération de l’Homme. L’Homme en tant que mot nuage qui passe dans le ciel. Pas les gueux en bas, dans la rue, faudrait voir à pas déconner non plus.

Le scénario est promis à un succès éternel

L’Encyclopédie serait aujourd’hui écrite par François Copé, Hulot, ou bien Yann-Arthus-Bertrand-Le-Dernier-ferme-La-Porte.

Non. François Copé passerait la commande à hélicoptèreman, qui ferait un prime time avec l’homme qui vomit dans son casque intégral en décollant du porte-avion.

Bon, là je crois que viens de perdre des fans de Voltaire, de Séguéla, de Hulot. Cool, il me reste Pinochet et Videla.

Et sur la révolution Française, allez donc vous décrasser chez Henri, c’est du sérieux.