Vos Valeurs

La valeur est une notion religieuse. C’est d’ailleurs une expression qu’on emploie dans des cas très variés : un homme de valeur, par exemple, d’une haute moralité, probité et honnêteté; donc que par définition on ne peut acheter. Comment peut-on dire qu’il a de la valeur si on ne peut en fixer le prix ? Ce qui montre que la valeur est dans l’œil de celui qui regarde.

Le mot valeur, quand il n’est pas employé par des économistes ou des comptables, est souvent lié à une échelle morale. C’est effectivement une façon de s’intéresser à ce mot, mais ce n’est pas le cas dans cet article.

La détermination des valeurs va déterminer votre qualité de vie. Si vous ne valez rien, vous devenez chômeur. Si vous ne valez pas grand-chose, vous êtes comme 85 % de la population salariée, qui gagne entre 1 et 4 fois le Smic. Si vous avez de la valeur, selon les critères de ceux qui décident, c’est à dire au final, les actionnaires, vous faites braire. On va vous tolérer, mais on se passera de vous au plus vite, en fin de projet ou dès lors qu’un petit niaiseux viendra vendre son cerveau à peine démoulé, mais fraîchement dressé, pour 4 fois moins cher. Comme au rayon frais, ou une marchandise perd toute sa valeur après la date limite de vente, les gens de valeur se périment vers 45 ans.

Voilà ou mènent les distorsions entre valeur et coût. Allez lire Bernard Friot, « L’enjeu du salaire » qui en sait beaucoup sur le salaire.

Ou allez voir ça :

Bernard Friot – L’enjeu du salaire

Dans la Société, on passe par des usages très pragmatiques et variés de la valeur : combien pour mon salaire ? Combien une astreinte ? Combien une heure supplémentaire ? Combien le droit de répandre du lisier dans la nappe phréatique ? Combien ce crédit ? Selon que l’on est vendeur ou acheteur, selon le service ou la marchandise, selon que l’on est ou pas en situation de monopole, que l’offre est très éloignée ou proche de la demande, ou que c’est les soldes, vous voyez bien que la valeur est une chose totalement abstraite, mais qui détermine la qualité de notre vie.

Entre autre, la société n’est ni plus ni moins qu’un mécanisme régulateur et organisateur des valeurs ou des conditions des négociations qui tournent autour. N’importe quelle valeur.
Directement, en collant une taxe à un produit pour compenser par ailleurs les coûts que son emploi génère. L’essence par exemple. Indirectement, avec des niches fiscales. Des exemptions, des subventions. Un salaire minimum.

Par exemple, les exemptions de charges entre 1 et 1,6 fois le smic baissent automatiquement la valeur du travail pour l’employé. Ben oui, pourquoi l’employeur tirerait ses grilles de salaires vers le haut, alors qu’il y perd deux fois : l’augmentation de salaire plus le supplément de charge ou son retour à un niveau qui avait été artificiellement baissé. La mesure d’exemption de 39 euros par smic baisse en fait la valeur de tous les emplois entre 1 et 1.6 smic. C’est un peu le but d’ailleurs…

Quand Renault se délocalise dans les pays émergents, il vient de baisser la valeur du travail en France. Il ne l’a pas mécaniquement, règlementairement changé. Mais quand tu te présentes pour une embauche, va falloir un peu rabattre sur les prétentions.

Donc la valeur est modifiée notamment par l’Etat, quand il prend des décisions sur les coûts. Évidement les sociétés privées ont intérêt à le faire également, chaque fois qu’elles peuvent en tirer un bénéfice supplémentaire.

La valeur et le coût sont deux choses parfois distinctes : la différence entre les deux s’appelle bénéfice ou perte. Et sont fluctuants selon les cas, l’endroit, le moment, la politique.
La preuve : les soldes. Mais dans la vie courante, des négociateurs sans scrupules aiment bien les mélanger.

Pour un acheteur, le coût et la valeur sont les mêmes, pour du neuf au prix normal. Mais pas pour le vendeur, dont le modèle capitaliste prévoie une seule ligne, une seule théologie, une seule morale : le coût, on s’en fout. La valeur, on s’en fout. Un seul but : augmenter la différence entre les deux, le plus petit devant bien entendu être le coût.

Notez également que le coût peut rapidement dépasser la valeur. Vous achetez un frigo à 300 Euros sur internet. Plus 70 € de livraison. Mais si, à peine installé, vous devez le revendre, ne rêvez pas récupérer vos coûts : premièrement le port est définitivement perdu. Et maintenant que c’est une deuxième main, sa valeur est bien inférieure à 300 €. Quand vous l’aurez laissé partir à 200 €, vous commencerez à ressentir la différence entre coût et valeur.

La valeur (grâce à la pub) peut servir à vendre un machin inutile très cher. Mais elle réduit donc aussi votre salaire en tant que celui-ci obère les revenus des propriétaires de votre entreprise. Et vous n’y êtes pas pour rien, oui vous, l’échantillon du peuple ! (Vous verrez, au début ça fait bizarre de se faire traiter d’échantillon, mais après, en lisant la constitution de 58, on est bien obligé de s’y faire)

Et, cher lecteur, il suffit d’agiter une femme à poil avec écrit « modernité » dessus, et tu remplis ta déclaration d’impôt sur le net. C’est commode, t’as un délai qui te tient lieu de susucre.

La déclaration des revenus sur internet : une belle escroquerie. Comme l’état loue son budget un prix exorsexant aux banques privées – c’est comme ça, ferme là, on n’aime pas les populistes ici – l’état dis-je, doit rogner. Saisir des formulaires est de peu de valeur, et d’un coût forcément excessif. Donc on vire des fonctionnaires, financièrement pesants.

Ô toi hydrocéphale lecteur, de ce fait, tu perds ton boulot. C’est toi, ou ta femme, ou ton fils ou autre qui perd à jamais le droit d’exister dans la société. Tu n’as pas pris en compte la valeur de la vie du fonctionnaire, qui n’est peut-être pas toi, pas un de tes potes, cet étranger qui peux bien crever. Sauf que c’est oublier bien vite que la vaste majorité des fonctionnaires fait son taf comme les autres, et dépense sa paye tous les mois en achetant des biens et des services aux capitalistes qui n’ont pas la reconnaissance du ventre. C’est donc un mauvais calcul de leur part. Les fonctionnaire stabilisent les volumes d’échanges ET la masse monétaire M1, celle qui tourne, qui joue son rôle de lubrifiant des échanges.

Et qui c’est qui va payer sur ses revenus le coût de la solidarité pour ces nouveaux chômeurs ?

Parce que tu n’es pas cohérent, cher lecteur. Tu places des gens dans une merde noire, tu râles pour les aider. OK. Pourquoi je me casserai le cul à bosser pour ces chômeurs ! On achève bien les chevaux, pourquoi ne pas euthanasier tous ces gens qui n’ont aucun espoir de retrouver moyen de faire gagner du fric à un actionnaire (condition nécessaire pour entrer dans le privé, mais aussi dans le public, qui se comporte comme un actionnaire depuis… depuis 30 ans).

Vous pouvez détecter ici, que la façon de calculer et présenter la valeur dépend essentiellement des données que l’on conserve, ou que l’on écarte : Le crétin de comptable qui va chercher son susucre à Bercy va expliquer qu’il a fait gagner 50 K€/an tout compris à l’administration des impôts par fonctionnaire remplacé par le site web FaitMonBoulotToiMeme.impots.gouv.fr. Il a tout compté, les frais de CE, les colos pour les gosses à payer en moins. Ce type lutte contre ces fonctionnaires qui sucent la moelle productive du pays. Donc il fait 50 K€ d’économies d’un côté, probablement contre sensiblement la même chose en salaire à pôle-emploi, dans les assocs de réinsertion, les rsa et autre traitements somptuaires. Sans compter que ce comptable est un « haut » fonctionnaire.

Si on veut jouer le jeu de la compta, jouons le à fond. Fusionnons les coûts de la fonction publique avec les coûts des inactivités diverses : un fonctionnaire non remplacé ou pas embauché, c’est mathématiquement un chômeur. Donc une cascade de coûts, de cotises pas perçues etc.

Et pourquoi ne pas donner un peu de valeur au malheur subi par une population, en mettant un coût à l’envie de se flinguer, geste accompli ou non ? Combien coûte l’envie de flinguer sa femme et ses gosses puis soi-même pour mettre fin au malheur de chacun ? J’ai bien dit « l’envie ». Celle qui vous accompagne des années sans pour autant vous faire passer à l’acte…

Selon que des décideurs vous voient comme une valeur, qui est prémisse des richesses que vous créerez et sur lesquels un actionnaire pourra faire librement une ponction, où un coût, obstacle à un peu plus de rente, votre vie bascule.

N’oubliez donc jamais que coût et valeur sont intimement liés comme des siamois, et qu’on parle souvent de l’un plutôt que de l’autre pour de pures raisons de propagande, de travestissement du langage. Donc quand on vous dit : « Désolé, on ne peut pas te garder, tu coûtes trop cher », on évite de dire que vos compétences ne seront pas ou mal payées, car vous nuisez à l’épanouissement de la rente des actionnaires. Que votre compétence soit réelle, importe peu.

Cette confusion permet de mettre un bac + 6 à un poste d’aide-comptable.

Vous pourrez réfléchir au paradoxe suivant : un cheval vaut deux livres (de métal argent), donc une livre d’argent vaut un demi-cheval ? Mais selon quelle référence ? On pourrait donc dire que l’argent est indexé sur le demi-cheval… Ceci vaut cela. Parce que cela vaut ceci, ou bien ? Je vous laisse méditer.

L’usage d’une monnaie est donc forcément basé sur une religion, une foi particulière : un ‘truc’ particulier possède une propriété connue et surtout stable dans le temps et on en fixe arbitrairement la valeur. Et on y croit ! Dur comme fer. Heu, non : Mou comme l’or !
Toute autre valeur viendra s’éprouver par rapport au ‘truc’. Quand on vous dit que le mètre étalon est conservé à Sèvres (près de Paris), cela veut dire qu’un fabricant de ruban de couturière ou un fabricant de mètres de charpentier pourrait venir comparer ses productions avec l’étalon pour vérifier que ses outils indiquent une valeur correcte. Donc le métal précieux est le mètre-étalon de la valeur, vous me permettez cette facilité de langage. Mais l’or, totalement inutile en pratique, n’a pour qualité que son inaltérabilité et son aspect reconnaissable. En clair : il ne rouille pas, ne se dégrade pas en poudre, ne s’évapore pas spontanément. Le fer rouille (donc s’alourdit), la rouille est friable et ne tient pas au fer sur lequel elle s’est formée, donc le fer s’allège dans le temps après s’être légèrement alourdi. Donc, ton tas de fer change de poids spontanément, ne serait-ce qu’à cause de l’humidité de l’air. Bonjour la référence fondante ! Autant dire que l’étalon, c’est un glaçon dans mon congélo. Vous imaginez le pouvoir de grévistes à EDF ?

Notez aussi que la valeur, que l’homme augmente proportionnellement à son désir de la posséder ET à la difficulté de se la procurer, est réellement totalement follement subjective : des milliers de jeunes gens, en pleine possession de leurs moyens, éduqués, choyés, friqués vont coucher depuis la veille devant un ShtroumphStore afin d’échanger leur glavouilleur à vistule de crambure mélaminé version 4 contre le même en version 5, parce que c’est trop de la balle, quoi ! Ça déchire grave, mec ! Et ça leur coûte un rein. Les mêmes pensent aussi qu’il faut sauver les baleines.

Donc, un truc totalement gratuit serait un truc totalement librement disponible sans limite pratique, ou dont on n’aurait strictement rien à faire. Donc, le fait que je vous prive d’air pendant, mettons un quart d’heure, ne vous posera pas de problème ? Déconnez pas, un quart d’heure, c’est quoi dans une vie ? Remarquez que je viens de vous introduire la notion de valeur résiduelle.
Non ! Ne zappez pas !

Il reste un mystère : comment se fait-il que des prix s’établissent ? Qui a dit un « cheval c’est deux livres », « un pain c’est un sou » ? Ton salaire c’est 900 € net ?

L’usage collectif d’une monnaie, pour peu qu’elle soit adossée à une référence réputée fiable, donne lieu spontanément à une espèce de négociation de la valeur. La valeur n’est qu’une convention mentale. La valeur, ce n’est pas comme du sable : on ne peut en peser un gros ou un petit morceau.

Dans notre monde, le mot « valeur » n’est compréhensible que si on le complète : « valeur marchande ». Ce qui en soi n’est pas encore un problème, à moins que les marchands n’appliquent la valeur à leur revenu.

Ainsi, construire des prisons est d’une grande valeur pour les groupes Vinci, Eiffage ou Accord.

Vendre des munitions est de grande valeur pour Ruggieri. Des Rafales pour Dassault.

La valeur est le fruit d’une production, du travail pour payer cette production le moins possible (corruption pour des concessions, pressions sur les salaires au moyen du chômage, lui-même au moyen d’une interdiction de déficit faite aux états), des magouilles pour échapper aux prélèvements sociaux, aux impôts et surtout, vendre le produit le plus cher possible. Merci le crédit d’impôt recherche ! Et merci la Terre, qui ne se fait pas payer pour ce qu’on lui prend, ou ce qu’on détruit.

Si la valeur de l’amiante avait été correctement évaluée, on aurait dû prendre en compte pour un sac de fibre isolante ou un textile anti-feu, ou un bout de toiture ondulée, tous les coûts pour soigner ceux qui vont en souffrir et pour le retirer plus tard. Et ces coûts auraient dû être prélevés sur les comptes bancaires de tous ceux qui ont touché des dividendes des sociétés comme Eternit.

Si les actionnaires disposent de moyens pour réduire leurs coûts, ils les utiliseront.

Votre valeur ne fait pas le poids. Votre vision de la valeur ne fait pas le poids.

Parce que votre vision n’a aucune valeur juridique, parce que le patron est le maître chez lui, et que grâce à notre constitution et à l’Europe des financiers, le patron est chez lui partout, ce qui n’est pas votre cas.

Donc la valeur n’est pas une donnée universelle. La valeur est fixée par celui ou ceux qui ont le pouvoir de l’imposer. En morale ou en économie.

Et en l’occurrence, c’est l’accumulation sans limite de valeur qui est promue comme l’espoir, le phantasme, l’objectif ultime de chacun : notre constitution en établit la primauté, via la constitution européenne que nous avons rejetée mais qui est quand même entrée en application.

« Concurrence libre et non faussée »

« Mobilité garantie des capitaux »

Dans nos constitutions, rien à propos du chômage ni de la destruction industrielle et écologique.

Parce que vous le voulez bien. Alors vos valeurs………